GRACE est un film qui ne manque pas de diviser les spectateurs. Entre les références auxquelles il fait immanquablement penser et son traitement atypique, GRACE n'est ni un film d'horreur à proprement parlé, ni un drame sur la parenté. Son origine au creux d'un court-métrage développé en 2006 et adapté en format long peut apporter quelques pistes quant à ses défauts, mais ceci ne doit en rien masquer d'évidentes qualités de mise en scène. Si bien que l'on sort de GRACE avec la nostalgie d'un moment en passe d'arriver.
Madeline Matheson (Jordan Ladd) s'aperçoit que le fœtus dont elle est enceinte est mort suite à un accident où sont mari meurt par la même occasion. Elle décide d'aller tout de même à terme et surprise : l'enfant est vivant et se nommera Grace. Madeline s'enferme chez elle afin d'élever de manière naturelle son enfant. Elle découvre petit à petit que la nourriture dont Grace a besoin n'est pas lactée, mais sanglante. Et cet enfermement agace profondément sa belle-mère Vivian (Gabrielle Rose, über-bitch extraordinaire), qui cherche à savoir pourquoi elle ne peut voir sa petite fille.
Les films parlant de bébés agressifs ne manquent pas : de I DON'T WANT TO BE BORN à la trilogie de Larry Cohen des IT'S ALIVE en passant par BABY BLOOD ou THE SUCKLING. Un remake de IT'S ALIVE a vu le jour entre-temps… mais GRACE semble se différencier du lot de par un traitement radicalement opposé à un film d'exploitation. Il rejoint plutôt la dimension sociale que Larry Cohen donna à ses films.
Plus que la relation entre la mère et l'enfant, le film ne s'attache pas simplement à décrire des cellules familiales éclatées ou recomposées. Mais une somme d'individualités insatisfaites qui, quoi qu'elles fassent, n'arriveront jamais à leur fin. Vivian souhaite un nouvel enfant dont elle pourra s'occuper (son mari qui fait état de relais en la matière ne lui suffit plus). La mère veut un enfant de la manière la plus naturelle qui soit. Patricia, la nurse, (Samantha Ferris) désire Madeline. L'amie de Patricia souhaite que leur couple ne s'effrite pas. Le médecin de famille souhaite échapper à un procès… et le bébé veut manger ce dont il a envie ! GRACE regorge de désirs inassouvis et de raison d'être presque prophylactiques. Ce qui expliquerait en ce sens la résilience de Grace.
Le phénomène qui entraîne la «survivance» de l'enfant ne sera jamais toutefois expliqué. Tel n'est pas le but du film, mais celui de montrer l'éventuel affect d'une nature controversée dans un environnement familial. Acceptation d'une nature différente ou passage dans une culture de mort ? Les notions de zombie (les mouches attirées par le vrai/faux cadavre dans le lit !) et de vampire s'entrechoquent, tant la nature propre de l'enfant est indéfinissable. Est-ce d'ailleurs un bébé dans le sens où notre société le perçoit ? Il s'agit quelque peu d'une vision radicale d'une société américaine matriarcale poussée dans ses derniers retranchements. L'homme y possède une fonction de reproducteur ou d'éternel enfant, exclut du monde des femmes. Si bien que le film vire au règlement de compte entre mère et belle-mère, jusqu'à la prolongation de la notion de maternité via le couple formé la nurse et son amie, idéales mères de substitution.
En même temps, la mise en scène de Paul Solet fourmille de détails politiquement incorrects qui en disent long sur le côté obsessionnel de Madeline. Vision de violentes émissions télévisées avec des animaux, volonté de nature à tout prix. Son souhait quasi maladif d'accoucher de manière naturelle se couple avec son régime végétalien. Les reproches faits à son mari sur l'achat d'un 4x4 y vont sur le couplet environnementaliste –à l'instar de LONG WEEKEND, par ailleurs-, ce à quoi il répond que leur voiture est hybride pour couper court au débat. La naissance de Grace (hybride elle aussi) et le mécanisme mort-vivant amorcé poussent Madeline dans la logique inverse du scope végétalien - qui verse dans le carnassier. Jusqu'aux gros plans sur de la viande de foie sanguinolente, la préparation des biberons sanglants, le cadavre saigné en direct… toutes les joies des nouveaux-nés pour la maman moderne du XXIe siècle. Un vrai paradoxe pour une végétalienne d'accoucher d'une morte vivante se nourrissant de sang.
L'attentisme, la patience (ou l'impatience) de chacun est montré de manière discrète mais bien visible pour le spectateur. Voir par exemple la très belle scène où Patricia gratte un tiroir de son bureau avec l'un de ses ongles. Une marque témoigne d'un trouble obsessionnel compulsif mais cette petite touche, parmi d'autres, rendent compte du soin apporté à la mise en scène. La direction d'acteurs va ainsi dans le sens du détail et du second degré. Tout en assurant un sérieux dans le déroulement des dialogues, on sent que Paul Solet donne une seconde lecture qui ne tolère pas une lecture primaire du scénario et des relations qui se tissent. Complexité des rapports humains présentés, humour noir, Le fait de donner à un couple lesbien un statut de mère/famille à part entière indique à quel point Paul Solet souhaite élever GRACE du simple statut de film d'horreur. D'ailleurs, sa présence dans des festivals aussi divers que Gérardmer que celui de Sundance abonde en ce sens.
Les crédits techniques demeurent plus qu'honorables. Le choix de format anamorphique peut sembler curieux à plus d'un titre, tant le sujet s'y prête peu. Mais son utilisation discrète se révèle habile dans la composition des plans et l'agencement des points de détails qui font la richesse de la mise en scène. La photographie de Zoran Popovic (Directeur Photo sur ALONE IN THE DARK II ou SCARECROW GONE WILD !) donne dans des tons naturels, bruts et parfois tirant sur le blanc cassé dans les scène d'intérieur. Ce qui complète le ton général du film.
Tout n'est cependant pas complètement réussi. La vision du film provoque un fâcheux sens de déjà-vu, tant la structure du scénario rappelle… HELLRAISER ! De la (re)naissance au besoin de sang/chair afin de grandir, de passer par un substitut pour se procurer la nourriture… et ce jusque dans des détails comme la scène du marteau avec Clare Higgins ! Quelques facilités de scénario et autres scènes quotidiennes inutiles ne jouent guère dans le sens de la simplicité qu'aurait requis le film, tant certaines scènes semblent tirer en longueur afin d'aboutir à la durée requise par un long métrage. Sur ce squelette préexistant, Paul Solet greffe néanmoins un conte (a)moral et sociétal où l'humour noir jaillit des plaies les plus sauvagement ouvertes. Voir l'ultime scène qui dévore littéralement l'écran !